Cathodoluminescence, Cénomanien moyen                                               Calcul vésical d'infection                                                                    Torus mandibularis                  
                                          
Dolmen de Juicq (Charente-Maritime)                                         Dolmen B1S de Chenon (Charente)                                            Dolmen B1T de Chenon (Charente)     
     


Gérard R. COLMONT
Géologue - Archéologue

Chercheur en Anthropologie préhistorique
                   
                                                                                                                                                                                                             

                                Margherita Mussi dans le Jura en 1970                                       Margherita Mussi en 2014
                           Margherita dans le Jura en 1970 (à gauche)                      Margherita en 2014 face à la Vénus de Savignano 

 
Après avoir obtenu en 1973 son premier diplôme en Ecologie préhistorique, puis en 1976 son diplôme de spécialisation, Margherita Mussi enseigne à l’Université de Rome "La Sapienza" comme professeur d’Archéologie préhistorique jusqu’en 2009. Elle s’intéresse plus particulièrement à l’occupation paléolithique de l’Italie, à l’art et aux sépultures de la même époque et dernièrement au paléolithique ancien de la corne de l’Afrique. Ses principales fouilles ont eu lieu à la grotte Barbara puis à la grotte di Pozzo en Italie, ensuite en Sardaigne du Sud et actuellement à Melka Kunturé en Ethiopie. Sa carrière internationale commence en 1993 comme représentante permanente pour l’Italie à l’ European Science Foundation en même temps qu’elle coordonne les échanges scientifiques entre son Université et celle d’Alberta au Canada pour terminer en 2001 comme referee à l’European Science Foundation et en 2009 expert scientifique pour l’UNESCO pour les sites préhistoriques (Action Plan on Prehistory).

                                                                                                                                                                            G.C.
 
 
 
Les « Vénus » du Gravettien et de l’Épigravettien italien dans un cadre européen
 
 
Face au nombre assez limité de gisements gravettiens connus en Italie, les statuettes féminines communément dénommées "Vénus" gravettiennes ont été découvertes dans six grottes et sites de plein air. Ces vingt exemplaires représentent la plus forte concentration de toute l’Europe occidentale. Ils furent trouvés dans toute la péninsule italienne, mais ils sont absents des îles, où le Gravettien d’ailleurs manque. Les grottes des Balzi Rossi (Barma Grande et Grotte du Prince) contribuent à ce total pour plus de la moitié. C’est également dans cette localité, trop tôt fouillée au XIXe siècle, qu’ont été découverts les exemplaires les plus complexes du point de vue iconographique, dont des pièces comportant des figures doubles et des figures fantastiques ("monstres" ou chimères) opposées à des figures féminines. Ces figurines se prêtent à un rapprochement et à des comparaisons, parfois fort étroites, avec des représentations découvertes dans toute l’Eurasie, et jusqu’en Sibérie, en deçà et au-delà des limites géographiques du monde gravettien.
L’Épigravettien, quant à lui, est beaucoup plus répandu, et on le trouve tant en Italie péninsulaire que dans les îles. Les figures féminines, toutefois, sont bien moins nombreuses, souvent mal connues et difficiles à dater, certaines encore inédites. Nous retiendrons ici sept localités, comprenant tant de l’art mobilier (statuettes et incisions) que de l’art pariétal : Vado all’Arancio, Tolentino, Pozzo, Romanelli, Addaura, Levanzo, Macomer. Dans deux cas, il s’agit de figurines dont le contexte reste difficile à préciser. L’Italie centrale et méridionale, y compris la Sicile et la Sardaigne, est ici représentée, alors que l’Italie du nord manque. Cette deuxième phase de production artistique n’est pas en continuité chronologique avec celle du Gravettien, et se rapporte plutôt aux tout derniers millénaires du Tardiglaciaire. Une moindre cohésion apparaît dans les thèmes, les supports et les techniques d’exécution mais, à nouveau, certains aspects se prêtent à des rapports avec des sites d’Europe occidentale et centrale, bien au-delà de l’arc alpin et des frontières naturelles de l’Italie. Ces pièces étant peu connues, nous les décrirons avec davantage de détails. Enfin, des statuettes paléolithiques découvertes récemment (Frasassi, Montecompatri) et encore partiellement ou totalement inédites n’entrent pas ici en ligne de compte.
 
Les Vénus du Gravettien
 
 
Les vingt Vénus du Gravettien ont été découvertes progressivement à partir de 1883, à commencer par les pièces de la Barma Grande, et les conditions de découverte n’ont jamais été celles que l’on aurait pu souhaiter. Il s’agit exclusivement de statuettes : de la plus grande, celle de Savignano de 221 mm de hauteur et pesant 585 g, à la plus petite, la Bicéphale des Balzi Rossi (27,5 mm de hauteur et 1,9 g). Elles sont en stéatite, chlorite, serpentinite, et autres pierres tendres, ainsi qu’en ivoire et en os, et proviennent de trois sites en grotte, et de trois à l’air libre. Nous nous attacherons ici à décrire et discuter principalement celles qui se prêtent à des comparaisons sur grandes distances. La morphologie générale de ces figurines est connue, et l’artiste a voulu préciser l’appartenance au sexe féminin, du moins lorsque le corps entier est représenté – donc sans considérer deux figurines de la Grotte du Prince des Balzi Rossi limitées à la tête.
Sont donc façonnés en détail les seins, souvent les fesses qui peuvent être bien développées, parfois le triangle pubien avec indication de la vulve. Ces pièces varient en dimensions, matière première et style d’exécution, mais certaines correspondent à une typologie bien définie : c’est le cas de la Vénus Jaune (Balzi Rossi), dont l’appartenance au type que nous avons défini de Kostenki-Lespugue a été soutenue ailleurs. Des plaines russes à la vallée du Danube (Willendorf), aux côtes de la Méditerranée (Balzi Rossi) et au pied des Pyrénées (Lespugue), on trouve toujours les mêmes représentations, au profil bien caractéristique : une petite tête au visage lisse penchée en avant sur un cou distinct et des épaules étroites ; des seins qui forment une masse unique avec l’abdomen ; des fesses aplaties ; des jambes qui s’effilent vers le bas, et qui peuvent se séparer en dessous des genoux ; parfois de petits bras repliés sur la masse des seins et de l’abdomen. Là où des dates sont disponibles, il s’agit d’une association avec des niveaux avancés du Gravettien. C’est le cas, notamment, de Willendorf où le niveau 9, avec des dates de l’ordre de 23-24 000 BP, se trouve à 25 cm au-dessus du point où la fameuse figurine a été découverte en 1908.
 
Si l’on analyse les détails qui se répètent d’une statuette à l’autre, d’autres enchaînements peuvent aussi être esquissés. Ainsi, un appendice triangulaire qui se développe de la nuque aux épaules caractérise tant la Vénus Jaune des Balzi Rossi, que celle de La Marmotta, que la Vénus à la corne et la Vénus à la tête quadrillée de Laussel, et enfin également la grande figure gravée sur une paroi de Cussac. Le détail du double pli cutané dans le dos est, lui, connu plutôt en Europe centrale : en Italie on le trouve sur la pièce de La Marmotta, mais il est présent tant à Willendorf qu’à Dolní Véstonice, sur les figurines en argile cuite (Vénus Noire et deux autres fragments).
C’est également vers la Moravie que renvoie une des comparaisons plus intéressantes, avec la plus complexe des figurines des Balzi Rossi, dite la Belle et la Bête. Comme son nom l’indique, cette dernière, en stéatite, est composée de deux créatures placées dos à dos, unies par les épaules et par le bas du corps. L’une est une femme, bien définie en tant que telle par les seins et la vulve qui se développe sous un ventre circulaire à nombril central. Le visage, qui se termine par le haut avec un élément en arc de cercle, est marqué d’une série de coups qui en ont oblitéré la surface. L’autre est une chimère, à tête triangulaire de serpent et corps également serpentiforme marqué de traits transversaux, mais avec des petites cornes et des bras. Une comparaison ponctuelle peut être faite avec une figure gravée sur une défense de mammouth de Predmostí. Dans le site morave, il s’agit d’une unique créature, de sexe féminin au vu des seins, mais avec une tête triangulaire, se terminant en haut par un arc de cercle, flanqué de petites cornes ; ce qui devrait être le visage est surchargé d’une sorte de grillage qui ne permet pas d’en déchiffrer les traits ; il y a de petits bras et un abdomen circulaire à nombril central, au-dessous duquel se trouve une deuxième masse, oblongue, transversale par rapport au ventre rond, et marquée par une série d’incisions. En d’autres termes, nous avons ici une superposition syncrétique des deux créatures qui apparaissent sous forme distincte dans la Belle et la Bête des Balzi Rossi. Le Pavlovien, auquel se rattachent les figures de Moravie, se développe à partir de 29 000 BP, donc plus tôt que le Gravettien italien, pour lequel les dates fiables sont un peu plus tardives ; puis le Pavlovien et le Gravettien continuent en parallèle dans les deux régions d’Europe.
Enfin, d’autres comparaisons peuvent être établies sur des distances encore plus importantes, et au-delà du monde gravettien. Ce sont à nouveau les pièces des Balzi Rossi qui entrent en ligne de compte, en particulier le Losange, et le Buste. Le Losange, en stéatite, présente une forme unique parmi les Vénus gravettiennes, à laquelle il doit son nom : la partie inférieure du corps, sous les seins, et sous un ventre circulaire, est composée de deux bourrelets en V qui encadrent le pubis, doté d’une vulve en position verticale. Ils se joignent en formant un triangle isocèle dont l’apex remplace les pieds. Cette pointe manque, car elle est fracturée, mais on discerne encore une partie de la perforation qui s’y trouvait. Les uniques autres figurines ayant ce même bourrelet triangulaire perforé sont deux pièces de Mal’ta, publiées par Z. Abramova. La partie supérieure du corps, par contre, est fort différente en Sibérie : le buste présente des seins plats, une tête arrondie avec un visage lisse en position verticale, encadré d’un bonnet. Cette même conformation se retrouve sur une autre pièce des Balzi Rossi, le Buste : malheureusement, comme son nom l’indique, elle se limite à une partie supérieure, car une fracture, reprise par la suite, l’a endommagée. Mais le visage vertical entouré d’un bonnet est bien là – le seul de ce genre en Europe.
Ces comparaisons surprenantes, sur de très longues distances, sont encore renforcées par deux figurines en ivoire, à nouveau des Balzi Rossi – la Dame Ocrée – et de Mal’ta : l’ensemble des proportions est le même dans les deux cas, bien que la Dame Ocrée soit d’un rendu plastique différent, qui privilègie une certaine lourdeur, tout spécialement des fesses ; mais le visage lisse et vertical, légèrement bombé, entouré d’une masse de cheveux à frange horizontale, est identique pour les deux ; plus encore, sur l’arrière de la tête, le détail des boucles allongées et ondulées est le même. Force est donc de retenir que ces deux sites, à des milliers de kilomètres de distance, offrent des éléments en commun qui ne peuvent être le résultat de convergences fortuites.

 
Les Vénus de l’Épigravettien

 
Commençons par l’Italie centrale. Vado all’Arancio, en Toscane, est une petite grotte avec un faible dépôt archéologique daté de 11 330 ± 50 BP et 11 600 ± 130 BP. Un fragment d’os gravé porte une petite figure féminine assez sommaire, vue de face, surchargée de têtes de cerf et de Bos primigenius beaucoup plus détaillées. Les seins ne sont pas indiqués, mais un triangle pubien est en évidence : il est équilatéral, avec les trois côtés tracés. Minellono a remarqué que la posture est très semblable à celle de l’anthropomorphe de la rondelle du Mas d’Azil : bras ouverts, et jambes écartées. On retrouve le même triangle pubien, équilatéral et bien délimité, sur la Vénus de Tolentino, site de plein air des Marches, gravée sur un galet de forme allongée qui a servi de retouchoir. Cette pièce, découverte en 1884, peut être attribuée à la fin du Tardiglaciaire, vers 10-12 000 BP. Bras et jambes, quoique bien détaillés, se trouvent dans une position différente par rapport à ce que l’on voit à Vado all’Arancio : les bras sont croisés sur l’abdomen, et les jambes sont droites. La tête est celle d’un animal, probablement une femelle d’élan. La façon de souligner le triangle pubien sur ces deux pièces permet un rapprochement avec d’autres figures : les superbes Vénus d’Angles-sur-l’Anglin, naturellement, mais plus encore les nombreux triangles schématiques de Gouy, estimés à 12-13 000 BP.
 
Plus au sud, dans les deux sites siciliens de Grotta dell’Addaura et Grotta dei Cervi à Levanzo, des figures féminines d’un autre genre, gravées sur les parois, font partie de panneaux plus vastes. À l’Addaura, petite grotte des environs de Palerme, avec quelques herbivores se trouve un minimum de seize anthropomorphes de 13 à 23 cm de hauteur, profondément incisés. Les bras et les jambes sont toujours distincts, en positions diverses, mais ne se terminent jamais avec des mains ou des pieds détaillés. Tous ont un visage plus ou moins pointu vers le bas, certains étant affublés d’une sorte de bec allongé. Un renflement plus ou moins important de la ligne qui indique le contour du crâne fait penser à un couvre-chef. Il s’agit principalement de personnages masculins, au vu de la carrure des épaules et du sexe souvent discrètement indiqué. Ils sont debout, et forment un ensemble animé, en mouvement autour de deux individus en position horizontale. Il s’agit à proprement parler d’une scène, dont l’interprétation a fait couler beaucoup d’encre. Nous discutons ici des personnages féminins : une femme, de profil, que l’on reconnaît à la présence d’un petit sein, marche vigoureusement en tournant le dos à la scène centrale. C’est la seule à avoir le contour du visage arrondi, et elle ne semble pas porter de couvre-chef. Le dos forme une grande bosse, faisant penser à une hotte, plus haute que la tête elle-même. Une deuxième créature féminine pourrait se trouver à gauche du couple masculin étendu : elle n’a pas d’attributs sexuels, et le visage est légèrement pointu, mais le corps, de forme oblongue, avec des bras à peine esquissés, est différent de celui de tous les autres. Les gravures de l’Addaura étaient, à l’origine, en partie recouvertes par un dépôt archéologique, enlevé lors d’une ancienne exploitation agricole. Une petite cavité adjacente a toutefois fourni, dans un niveau remanié, de l’industrie lithique de l’Épigravettien final. Des comparaisons peuvent être établies, en ce qui concerne les coiffures volumineuses, avec une pièce d’art mobilier : une tête masculine de Vado all’Arancio en porte une tout à fait identique. Les dates de 11-12 000 BP de Vado all’Arancio seraient raisonnables pour l’Addaura. Cette hypothèse est renforcée par la superposition de gravures plus frustes, connues ailleurs en Italie du sud au début de l’Holocène, qui peuvent être considérées comme un terminus ante quem pour ce panneau de l’Addaura. De façon plus générale, les figures masculines, nombreuses et souvent avec les bras levés, évoquent les gravures de La Marche qui ont cette même attitude – et qui d’ailleurs portent souvent un béret – alors que les figures féminines ne permettent pas de rapprochements précis.

L’île de Levanzo est séparée de la Sicile occidentale par un bras de mer peu profond, qui n’existait pas encore à la fin du Pléistocène. En 1950, des gravures furent remarquées par Graziosi à Grotta dei Cervi. Elles forment un panneau de 33 figures comprenant équidés, bovidés et cervidés, pour lesquels Graziosi fit des rapprochements avec le style franco-cantabrique. Leroi-Gourhan remarqua en 1972 que le tout correspondait très précisément à son modèle de répartition d’espèces animales dans les grottes ornées magdaléniennes. Il y a aussi 4 anthropomorphes : 2 petites jambes qui courent, et un groupe de 3 personnages à tête déformée. Le premier a une sorte de bec qui rappelle l’Addaura, les deux autres une tête en forme de champignon. Le plus grand à tête de champignon, au centre, semble sortir d’une fissure de la paroi. La carrure des épaules fait penser au sexe masculin, alors qu’à gauche il est flanqué d’un second anthropomorphe plus menu, avec un renflement du contour du torse qui suggère des seins. Les bras sont écartés du corps, et les deux jambes séparées. Sur le bras gauche, des gravures transversales pourraient indiquer des bracelets ou ornements cousus sur les habits. Ce panneau se trouve dans l’obscurité de la partie la plus interne de la grotte. À l’entrée de celle-ci, les fouilles de A. Vigliardi donnent quelques indications chronologiques. Les dates 14C des niveaux plus profonds sont de l’ordre de 10-11 000 BP (non calibré). Au-dessus, dans le niveau 3, un bloc est gravé d’un aurochs dans le style fruste mentionné plus haut comme terme ante quem pour l’Addaura, donc très différent du panneau du fond de grotte. Ce dernier devrait être en rapport avec un niveau d’occupation correspondant à une phase plus ancienne.
Des représentations féminines de type Gönnersdorf ont également été récemment découvertes en Italie, à Grotta Romanelli et Grotta di Pozzo, avec une troisième possibilité en Sardaigne, à Macomer. À Grotta Romanelli, où en 1905, pour la première fois en Italie, la présence d’art pariétal fut reconnue par P.E. Stasi et E. Regalia, il s’agit d’une petite gravure de 2 cm, à l’intérieur de la grotte, qui fait partie d’un panneau inédit comportant des représentations de bovidés. Le profil, incliné vers l’avant, sans tête, avec des fesses bien marquées, est celui bien connu dans toute l’Europe. À l’extérieur, en pleine lumière, se trouve une frise profondément incisée, avec des figures de plus grandes dimensions, déjà illustrées par G.A. Blanc en 1930.
On y remarque quelques silhouettes rappelant le type Gönnersdorf, mais elles ont de l’ordre de 30 à 50 cm de haut, ce qui est inhabituel. L’âge du dépôt tardiglaciaire de Romanelli, quoique mal encadré par des résultats 14C qui ne suivent pas l’ordre stratigraphique, est compris dans la fourchette 10-12 000 BP (non calibré). Dans la Grotta di Pozzo, au centre de la péninsule, des fouilles en cours assurent un meilleur calage chronologique : une silhouette de ce type, encore plus stylisée que celle de Romanelli, a été obtenue en modifiant une arête rocheuse. Elle se trouve, comme d’autres éléments d’art pariétal, sur une petite paroi verticale, à hauteur d’homme par rapport aux niveaux à industrie de l’Épigravettien final, avec des dates non calibrées de 12-13 000 BP. Tant à Romanelli qu’à Pozzo, il existe également des représentations de vulves, obtenues par des techniques différentes dans les deux sites. Enfin, à Macomer, au centre de la Sardaigne, une statuette sur roche volcanique, haute d’un peu plus de 13 cm, a été découverte en 1949 dans une petite grotte, sans contrôle scientifique. Il s’agit d’une thériogyne à tête de Prolagus sardus, lagomorphe endémique au Pléistocène supérieur de Sardaigne, maintenant disparu. Elle est donc assez différente, par cet attribut, des Gönnersdorfs classiques. La forme générale de la silhouette, toutefois, est évocatrice de ce type, avec une vision préférentielle latérale, des jambes repliées sous des fesses proéminentes, et un petit buste plat, sauf pour un unique sein, sans indication des bras. Cette hypothèse attend confirmation, car une colonisation humaine de la Sardaigne, si elle peut être soupçonnée à la fin du Pléistocène supérieur, n’est pour le moment démontrée qu’au Mésolithique.
 
Ces figurines et gravures, bien qu’assez disparates, représentent un horizon chronologique proche de 13-10 000 BP. La diffusion pan-européenne des figures de type Gönnersdorf, ou Gönnersdorf-Lalinde, n’est plus à établir. Elles sont connues à ce jour dans une quarantaine de sites allant de la Cantabrie au nord de la France et à la Pologne, en association avec des industries magdaléniennes ou, plus rarement, aziliennes. Les nombreuses variantes couvrent une période comprise entre 11 000 et 12 800 BP (non calibré). Les exemplaires de Romanelli et Pozzo s’insèrent bien dans cet arc chronologique, et ajoutent aux précédentes l’association avec des industries de type épigravettien, ce qui renforce la valeur transculturelle de ces symboles. Pour les autres exemplaires, les rapports avec l’Europe continentale sont parfois plus ténus, mais des éléments de raccord ponctuel ne manquent pas, encore une fois avec le monde magdalénien.
 
Considérations finales
 
Les représentations féminines du Paléolithique italien se prêtent à une lecture permettant des rapprochements tant à l’intérieur de ce que les archéologues modernes appellent une culture, que bien au-delà de ces découpes tout compte fait arbitraires. Des comparaisons sont possibles, tant à l’intérieur du monde Gravettien, pris dans son ensemble, qu’au-delà, en direction de la Sibérie. De même, l’Épigravettien comporte des représentations avec d’étroits rapports dans le monde magdalénien et azilien. Ce qui frappe le plus, ce sont les très grandes distances impliquées – dans ce cas tout comme dans d’autres, d’ailleurs, tel que celui de la circulation des matières premières. Les grandes différences du milieu naturel, allant des steppes glaciaires à celles des rivages de la Méditerranée, ne semblent pas avoir d’influence dans cette répartition, qui sous-entend des modèles, symboles, mythes et croyances communs. Il est bien évident que nous n’avons accès, aujourd’hui, qu’à une infime fraction des témoignages produits par ces sociétés du passé, et que la plus grande partie des sites ont été détruits au fil des millénaires. Toutefois ce tableau discontinu, enrichi par de nouvelles découvertes, finira peut-être un jour par avoir un aspect conforme au flux de personnes, objets et idées que nous ne pouvons que soupçonner aujourd’hui. Il n’en reste pas moins vrai que les données dont nous disposons actuellement, tout insuffisantes qu’elles soient, indiquent qu’à au moins deux étapes de leur développement, les sociétés de chasseurs-cueilleurs du passé ont élaboré des modèles de comportement, et un réseau d’idées et de symboles, dont la diffusion a été acceptée au niveau du continent européen, et même bien au-delà de celui-ci.
 
                                                                                                                                        Margherita Mussi (2012)

 
Ce texte se trouve en plus complet (avec cartes, photos et bibliographie) dans les Actes du Congrès IFRAO qui a eu lieu à Tarascon-sur-Ariège en septembre 2010. Margherita a accepté de nous en faire profiter en souvenir de son passage dans les rangs de notre Ecole de Fouilles du Mont-Joly. Il montre parfaitement comment analyser sans emphase l'Art paléolithique avec honnêteté et rigueur. 
 


 
 
 



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