Gérard Colmont, Pierre-Yves Leduc et Marie-Claude Martinaud (de gauche à droite) dans le Jura en 1970
Mon intérêt pour la géophysique et son aptitude à la reconnaissance de structures archéologiques enfouies a pris racine dans le Jura, lorsqu'à la demande de Bernard Edeine - confronté à un vaste espace à prospecter sans possibilité de fouilles - Michel Marie, jeune électronicien, a su choisir un résistivimètre léger et sensible pour le confier ensuite à Michel Martinaud, physicien, et à moi-même, jeune géologue, afin de constituer une petite équipe de prospection géophysique sur un site antique et de voir les résultats que l'on pouvait en attendre. Malheureusement à cette époque (les années 1970), le travail sur le terrain était très long sans le secours des ordinateurs actuels et de leurs logiciels performants.
Cet intérêt s'est affirmé beaucoup plus tard, lorsque Michel Martinaud s'est investi dans ce secteur de la recherche appliquée en physique en créant l'Association Armédis-Recherches géophysiques et m'a demandé d'assurer la partie géologique de la prospection. Quelques publications en ont résulté.
G.C. LA GÉOPHYSIQUE AU SERVICE DE L’ARCHÉOLOGIE
La prospection géophysique est née après la Première guerre mondiale grâce aux recherches pétrolières et minières. Les débuts de son utilisation en archéologie remontent à la dernière guerre. Dans les années 40, la méthode électrique était appliquée pour la première fois. Vers la fin des années 50, en Angleterre, on utilisa en archéologie le magnétomètre à protons pour mesurer les variations du champ magnétique. Grâce au Laboratoire de Géophysique du CNRS de Garchy en France, des progrès sur l’instrumentation ont amené ces techniques à se diversifier et à se perfectionner.
Ses méthodes permettent d’acquérir des informations tridimensionnelles sur les structures du sous-sol : leur forme, leurs dimensions, leurs propriétés physiques, toutes les hétérogénéités naturelles et artificielles situées sous la surface du sol sans réaliser d’excavations ni de fouilles.
En prospection géophysique, l’image, c’est-à-dire la carte ou la coupe, représente une série de mesures physiques qui permettent de visualiser des « anomalies » par rapport à un terrain homogène. Mais l’analyse des formes obtenues ne permet pas toujours d’identifier la structure archéologique sans effectuer un sondage de vérification.
La chaîne opératoire comprend donc cinq étapes : la définition des objectifs, le choix de la méthode la mieux adaptée au terrain et à l’objet recherché, la réalisation des mesures, leur traitement, leur interprétation.
L’efficacité de ces différentes méthodes s’est énormément accrue par le développement de l’électronique et de l’informatique : ainsi, la vitesse d’acquisition des mesures devient très grande ; l’enregistrement est automatique ; enfin, l’analyse peut se faire directement « sur le terrain » grâce aux ordinateurs portables. Au laboratoire, de nombreux logiciels permettent des traitements par filtrage (types passe-haut, micro-reliefs ou gradient) et de multiples représentations en fausses couleurs et en relief.
LA PROSPECTION ELECTRIQUE
La résistivité électrique du proche sous-sol correspond à des déplacements d’ions soit dans le volume de l’eau interstitielle, soit à la surface des particules solides. En dehors des sols salés, le contenu en argile est le paramètre déterminant de cette propriété.
Avec un résistivimètre et quatre électrodes, on peut mesurer la résistivité apparente d’un sous-sol. Le principe des mesures électriques in situ consiste à envoyer un courant électrique I alternatif de basse fréquence dans le sous-sol en deux points avec deux électrodes de surface A et B (de façon à créer une boucle de courant) et à mesurer au moyen de deux autres électrodes M et N une différence de potentiel ΔV. Le résultat de la mesure est appelé résistivité apparente : c’est la résistivité d’un sol homogène qui donnerait les mêmes mesures avec la même disposition des électrodes. La présence d’une masse résistante perturbe la distribution du potentiel électrique et donne des valeurs plus fortes de résistivité apparente à sa verticale (un mur par exemple) ; à l'inverse, la présence d’une poche conductrice donne des valeurs de résistivité apparente plus faibles.
On peut réduire le nombre d’électrodes à déplacer en en éloignant une ou deux de la zone prospectée ; elles sont alors placées très loin (par exemple à 100 m c’est-à-dire à l’infini) :
- Pour le dispositif pôle-dipôle, A, M et N sont mobiles et proches entre elles et B placée à l’infini ;
- Pour le dispositif pôle-pôle ou bipôle CP, A et M sont mobiles et proches entre elles, (placées par exemple sur un portique porte-électrodes) et, B et N placées à l’infini et écartées entre elles d’une grande distance.
Dispositif pôle-pôle (portique porte-électrodes)
Si on s’intéresse à l’évolution du profil avec la profondeur, on conserve le même point de mesure et on agrandit la distance séparant les électrodes A et B ( dans le cas d’un dispositif Schlumberger), ce qui donne un sondage électrique. En plaçant côte à côte une série de sondages (panneau électrique), on peut aussi réaliser une pseudo-section. Pour un faible écartement des électrodes, la résistivité apparente mesurée dépend surtout des terrains superficiels ; lorsque l’écartement devient important, ce sont les terrains plus profonds qui influencent les mesures de résistivité. La pseudo-section ou coupe verticale de résistivité apparente est une image verticale déformée (les variations sont adoucies par rapport aux variations réelles) des variations de la résistivité apparente en fonction de la profondeur à l’aplomb d’une ligne de points de mesures.
Par contre, si on veut étudier les variations latérales de la résistivité dans une épaisseur donnée de terrain, on conserve au dispositif la même géométrie (par exemple Wenner) en le déplaçant à la surface du sol de façon à couvrir au mieux la zone à étudier. C’est le principe du traîné. Dans ce dernier cas, les valeurs de résistivité mesurées sont portées en fonction des coordonnées du point de mesure, de façon à obtenir des cartes de résistivité en traçant les courbes d’iso-résistivités.
Les dispositifs multi-électrodes mobiles tractés (comme le dispositif quadripôle RATEAU de Garchy (CNRS) pour Résistivimètre AutoTracté à Enregistrement AUtomatique) permettent de prospecter rapidement des surfaces étendues avec une maille de mesure fine. Les électrodes utilisées sont par exemple des roues à picots en nombre plus faible que dans un panneau ; les mesures peuvent, par exemple, porter sur trois profondeurs d’investigation différentes. Dispositif quadripôle (système RATEAU de Garchy)
LA PROSPECTION ELECTROMAGNETIQUE
Une bobine émettrice parcourue par un courant alternatif génère un champ électromagnétique appelé « champ primaire ». Ce champ primaire engendre dans le sol des courants induits de Foucault pouvant être modifiés par des hétérogénéités du sous-sol. L’amplitude des courants induits va dépendre des propriétés électriques des corps conducteurs rencontrés, de leurs dimensions, de leurs formes, de la fréquence du champ primaire et de l’emplacement du corps conducteur par rapport aux instruments de mesure. Ces courants de Foucault créent à leur tour un champ magnétique appelé « champ secondaire » de fréquence identique au champ primaire.
La somme des champs (primaire + secondaire) est mesurée par une bobine réceptrice. En absence de perturbations électromagnétiques (ligne électrique, corps métallique…), le rapport du champ secondaire au champ primaire est proportionnel à la conductivité électrique apparente des matériaux traversés, en mSm (-1). Celle-ci sera d’autant plus forte que les matériaux traversés seront aptes à favoriser le passage du courant induit.
La profondeur d’investigation ne dépend que de la distance entre l’émetteur et le récepteur. La configuration utilisée par la méthode Slingram est celle où les deux bobines sont horizontales coplanaires (mode de mesure dipôle magnétique vertical).
Cette méthode permet l’étude de structures en pierres résistantes enfouies dans des sédiments fins plus conducteurs. Son principal avantage est sa facilité d’emploi et la rapidité d’exécution des mesures par rapport aux méthodes de prospection électrique précédentes.
1 - La méthode Slingram (EM31 et EM38)
L’EM31 est un système de prospection électromagnétique de forme très allongée comprenant à l’une de ses extrémités une bobine émettrice, à l’autre extrémité une bobine réceptrice, et au centre le boîtier enregistreur. Il donne directement des mesures de résistivité apparente du sol sur les 5 à 6 premiers mètres, en précisant la profondeur de l’anomalie.
Michel Martinaud au travail avec un EM 31
La conductivité (c’est-à-dire l’inverse de la résistivité) et les mesures en phase sont lues directement sur l’écran de l’enregistreur de données. Cet enregistreur peut être facilement relié à un ordinateur de façon à traiter rapidement les informations. Il peut être couplé à un GPS.
Cette technique utilise l’induction électromagnétique décrite précédemment sans contact avec le sol et sans faire de mesures à l’aide d’électrodes. Il s’agit d’un matériel léger permettant de prendre rapidement de nombreuses mesures sur une vaste zone. Les profondeurs d’investigation de l’EM31 de la Société Geonics vont de 0 à 6 m avec une mesure tous les 10 m² et son coût reste peu élevé. L’EM31 peut être couplé avec un panneau électrique. Le conductivimètre EM38 de la même Société atteint au maximum la profondeur de 2 m.
2 - Le radar géologique ou Radar-Sol ou GPR (Ground Penetrating Radar)
Cet instrument utilise les ondes électromagnétiques pour déterminer les interfaces entre deux milieux de constantes diélectriques différentes. Pour qu’une investigation Radar donne le meilleur résultat possible, il est préférable que le milieu étudié soit très résistant électriquement et qu’il présente le moins de pertes diélectriques possibles. Les recherches en milieu argileux ne sont pas adaptées à cette méthode à cause de sa forte conductivité (résistivité inférieure à 50 Ω.m).
Le dispositif est constitué d’une antenne émettrice, d’une antenne réceptrice, d’une unité de contrôle et d’un enregistreur. L’antenne émettrice émet de manière radiative des impulsions électromagnétiques de brève durée (de l’ordre des nanosecondes,10 puissance -9 secondes) centrées sur une fréquence précise. Ces impulsions se propagent dans le sol ; dès qu’elles rencontrent un changement des propriétés électriques du matériau (une interface), elles subissent une réflexion vers la surface. Toutes les réflexions sont enregistrées par un récepteur qui sera une autre antenne ou la même. Le temps de parcours des ondes est inférieur à 100 ns.
La profondeur de pénétration va dépendre de la longueur d’onde émise et de sa fréquence. La fréquence va dépendre de la taille de l’antenne. Les meilleurs résultats sont obtenus en archéologie avec des antennes de 200 à 500 MHz.
Radar géologique ou GPR
L’antenne Radar est traînée sur le sol, doucement et de façon régulière, le long d’un profil défini, avec un bon contact avec la surface du sol pour minimiser la réflexion par la surface du sol. Les résultats sont affichés en radargrammes, graphes représentant un temps double aller et retour en nanosecondes en fonction de la distance. Les profils sont placés côte à côte pour donner une image de la structure verticale du sous-sol. La coupe-temps est ensuite transformée en coupe-profondeur après détermination de la vitesse de propagation des ondes, caractéristique du milieu. Cette vitesse dépend de la constante diélectrique relative du matériau traversé, elle-même gouvernée par sa teneur en eau.
Comme les ondes électromagnétiques se propagent à 45°, un terrain de 1200 m² peut livrer ses secrets en une journée, à raison d’un passage tous les mètres. Cette méthode ne peut pas être utilisée s’il existe un écran métallique très conducteur dans le sol.
LA PROSPECTION PAR LASER
La méthode LIDAR (LIght Detection And Ranging)
Nous avons vu que le Radar émettait un faisceau large d’ondes électromagnétiques. Par contre, le Système Lidar, lui, émet un faisceau laser d’ondes lumineuses très peu divergent dans une direction précise.
En pratique, le système est embarqué à bord d’un avion qui émet le laser en direction du sol. L’avion est équipé d’un GPS qui permet de connaître sa position précise à tout moment. Le laser émis par l’avion est réfléchi par les arbres (branches du haut puis branches du bas), puis par le sol. En retour, le système capte donc trois ondes réfléchies qui définissent la forme du relief sous l’avion.
Par ordinateur, on peut donc obtenir une « image » du relief et de la végétation. Il suffit alors de supprimer les premier et deuxième échos qui correspondent aux ondes réfléchies par les arbres, pour voir apparaître le relief du sol « nu ».
LA PROSPECTION MAGNETIQUE
La prospection magnétique repose sur un principe simple : le champ magnétique terrestre peut être perturbé par certains matériaux du sous-sol porteurs d’une aimantation. Ces anomalies magnétiques proviennent soit d’un magnétisme induit causé par le champ magnétique terrestre (50 000 nT) et dépendant de la susceptibilité magnétique du matériau, soit d’un magnétisme rémanent qui apparaît en particulier lorsque des matériaux ferromagnétiques sont chauffés au-delà du point de Curie. Cette propriété empêche cependant de prospecter dans les vignes (à cause des fils de fer) ou au voisinage de clôtures, de lignes à haute tension ou de véhicules.
Les magnétomètres, appareils utilisés par la prospection magnétique, sont capables de détecter de très minimes variations locales de l’amplitude du champ magnétique terrestre. Il existe une grande variété de magnétomètres. Les premiers à être utilisés en prospection archéologique ont été les magnétomètres à protons. Dans ces magnétomètres, les capteurs disposés de part et d’autre d’un mât, sont constitués d’ampoules ou bouteilles contenant de l’eau ou un hydrocarbure tel le kérosène. On produit un fort courant électrique dans le solénoïde entourant la bouteille de liquide ; ce courant aligne les protons de l’hydrogène. Lorsque le courant est interrompu, les protons se réorientent sur le champ magnétique terrestre en oscillant (Résonance Magnétique Nucléaire) comme un balancier. Le nombre d’oscillations est compté pendant un temps fixe, ce qui permet la lecture directe de l’intensité du champ magnétique en nanoTesla (nT).
Le magnétomètre à protons et le magnétomètre (ou gradiomètre) Fluxgate utilisés depuis les années 60 et 70 sont maintenant complétés par d’autres magnétomètres plus performants. Pour n’en citer qu’un seul, le magnétomètre G858 à Césium de la Société Geometrics (fonctionnant sur le principe du pompage optique) utilise des sondes magnétométriques à vapeur de Césium. En en plaçant deux sur une même verticale à deux hauteurs différentes (1 m et 20 cm), on peut réaliser une mesure du gradient du champ, indépendante de ses variations temporelles.
Magnétomètre G858 avec ses 2 sondes verticales
On déplace les deux sondes à l’aide d’un dispositif portable pendant la prospection au sol. Les données acquises sont transférées sur ordinateur (logiciel Magmap pour le chargement et Wumap pour le traitement) où un logiciel repositionne les points de mesure (Autocad ou Arcgis). Les données brutes sont ensuite soumises à un traitement numérique pour corriger les mesures de champ total par rapport aux variations externes du champ géomagnétique. Quelques centaines de mesures par seconde permettent de cartographier avec précision de simples trous de poteau.
L’écart par rapport à la valeur prédite au niveau du site est calculé et définit l’anomalie magnétique et une carte est produite grâce au logiciel Surfer par exemple. Les cartes de gradient magnétique (différence entre les deux sondes) reflètent mieux les zones de fortes variations du champ magnétique.
Le magnétomètre est particulièrement adapté à la recherche de zones remblayées aux terres remaniées (fosses, fossés, tranchées, silos, tombes, trous de poteaux), de structures enfouies (murs, fondations) et de zones d’activités artisanales (forges, foyers, fours de potiers, briques cuites). Une forte anomalie positive est toujours compensée par un puits d’anomalie situé à côté. Entre les deux anomalies, se situe l’objet magnétique détecté.
La méthode magnétique permet d’étudier environ 1 à 2 ha par jour en fonction des conditions de terrain plus ou moins difficiles.
LA PROSPECTION THERMIQUE
Un radiomètre aéroporté à balayage détecte et enregistre la température qui existe à la surface du sol. Cette dernière dépend des variations d’éclairement et des propriétés thermiques du proche sous-sol.
LES CONDITIONS DE REUSSITE D'UNE PROSPECTION GEOPHYSIQUE
La prospection géophysique se doit d’être essentiellement une activité de recherche scientifique. Aussi, est-il nécessaire d’établir une bonne collaboration entre archéologue et géophysicien mais également avec le géologue. Un dialogue doit s’instaurer dans le respect des compétences de chacun. Les bonnes questions seront posées au préalable sans pour cela assurer qu’elles trouveront toutes une réponse satisfaisante. La collaboration devra se prolonger après la prospection pour effectuer ensemble une première analyse des résultats.
Il y aura sans doute besoin d’effectuer des investigations préalables en des endroits représentatifs bien choisis, avant de passer à la prospection proprement dite. Plusieurs méthodes géophysiques peuvent s’enrichir de leurs propres résultats. Ainsi, la cartographie magnétique complète efficacement en les affinant les résultats de la prospection électrique. De même, prospection électrique et prospection radar-sol sont utilisées conjointement en milieu urbain.
Le coût d’une prospection géophysique dépendra de la nature des questions à résoudre (étude globale ou détaillée), des conditions de surface des terrains à prospecter, du matériel à utiliser, des personnels nécessaires à la prospection - sans parler de leur hébergement.
Gérard R. Colmont (texte relu et approuvé par le Professeur Tabbagh)
Cet exposé a été présenté (avec photos) en 2012 et 2015 aux deux Associations jurassiennes qui défendent la thèse d'André Berthier situant la bataille d'Alésia près de Chaux-des-Crotenay dans le Jura français. En effet, rien ne pourra avancer sur ce sujet sans une campagne parfaitement menée de prospections géophysiques judicieusement choisies.
Publications : Colmont G.R., 1971 (avec M.Martinaud): Intérêt de l’étude des sols par mesure de résistivité et carottages mécaniques (Introduction de Bernard Edeine). Prospezioni Archeologiche .
Colmont G.R., 1989a (avec M.Martinaud): Prospections électriques et géologiques sur le site de l’antique “Elusa” à Eauze (Gers). Rapport à la DRAH de Midi-Pyrénées.
Colmont G.R., 1989b (avec M.Martinaud): Prospections électriques; reconnaissance archéologique et interprétations géologiques, à Saint-Bertrand-de-Comminges (Haute-Garonne). Rapport à la DRAH de Midi-Pyrénées.
Colmont G.R., 1989c (avec M.Martinaud): De la coopération entre partenaires pour les recherches géophysiques de structures archéologiques. Bulletin de la Société Préhistorique Française.
Colmont G.R., 1990 (avec M.Martinaud, D.Schaad et J.M. Pailler): Eauze. 2e Colloque Aquitania. ======================