COMMENT SITUER L’ORIGINE DES ÉLÉMENTS ARCHITECTURAUX D’UN MÉGALITHE ?
Locating the sources of megalithic blocks
Cénomanien moyen en cathédoluminescence : Une dalle du dolmen de Juicq (17)
Bancs de calcaire dur à grosses gravelles en cathodoluminescence (rouge orangé):
non jointives et alvéolines. Grosses gravelles hétérogènes à alvéolines. 1. Problématique.
Les monuments mégalithiques sont souvent construits dans un environnement géologique diversifié. Pourquoi ont-ils été construits à cet endroit précis (proximité du lieu d’extraction, d’un habitat, d’un point d’eau, d’une particularité dans la topographie … ?) Y a-t-il eu un choix délibéré de roches (texture, couleur) nécessitant une recherche de matériaux sur une grande surface, et par la même occasion une étude par les populations préhistoriques du meilleur cheminement possible pour le transport des dalles? Ce transport à longue distance a-t-il été voulu pour souder un groupe humain?
2. Matériel et méthodes : la part de l’analyse.
2.1. Premier temps : carte et prélèvements.
La carte géologique et sa notice servent de base d’étude du terrain autour et au delà du monument étudié. Les affleurements proches et lointains sont contrôlés. Des échantillons de référence sont prélevés pour chaque étage - ou faciès proche du monument - décrit dans la notice géologique. Chaque élément architectural est étudié macroscopiquement (dimensions, texture, couleur, macrofossiles) et des prélèvements y sont faits.
2.2. Deuxième temps : analyse des microfaciès et caractérisation fine par la cathodoluminescence.
Les géologues ont à leur disposition depuis plusieurs décennies des méthodes de détermination au microscope polarisant très discriminantes reposant pour les calcaires sur l’analyse des ciments et des éléments figurés. Ce type d’analyse a déjà permis d’obtenir quelques résultats intéressants pour les monuments mégalithiques surtout lorsque l’analyse est systématique. La caractérisation des calcaires et des grès se fait également depuis un peu moins de temps par des méthodes physiques de laboratoire (cathodoluminescence) qui viennent en complément des méthodes géologiques. Dans le cas des calcaires qui nous intéressent, la couleur de cathodoluminescence varie du rouge au mauve (en cas de silicification) en passant par l’orange.
2.3. Troisième temps : comparaisons.
La discussion de provenance se fait en comparant les microfaciès des différents éléments architecturaux avec les microfaciès connus du substrat et des affleurements plus ou moins proches. Les microfaciès peuvent varier presque à l’infini surtout à l’échelle très petite de la lame mince. Le cas le plus simple est celui où il y a identité de faciès avec le substrat, le plus complexe celui où il faudra rechercher le faciès reconnu sur un élément architectural dans des étages géologiques lointains. L’étude topographique du terrain permet de faire des hypothèses sur le trajet emprunté par les néolithiques pour déplacer les différentes dalles. Le trajet retenu sera celui qui nécessite le moins d’efforts de traction.
3. Résultats : la recherche des intentions.
Le déplacement des dalles de 6 mégalithes de Charente-Maritime
confirmé par l'étude et la comparaison des microfaciès des strates
géologiques environnantes et ceux des monuments eux-mêmes.
3.1. Le choix des matériaux de construction.
Les monuments mégalithiques les plus remarquables de la Charente-Maritime sont formés de dalles appartenant principalement aux terrains Turonien C3 (La Vallée, La Sauzaie à Soubise, La Graupe à Saujon, Trizay) et Cénomanien C1 à grande facilité d’extraction puisque ce dernier surmonte des couches sableuses (monuments de l’Île d’Oléron). Plus au nord, les terrains jurassiques du Kimméridgien J7 et J8 ont fourni les plus grosses dalles de couverture des dolmens d’Ardillières et de Saint Rogatien. Les grisons e5 du sud du département ont permis la construction de monuments aussi importants que l’allée couverte de Montguyon et les dolmens de Montguyon et de Saint-Palais de Négrignac.
Il arrive que les nombreux blocs composant un monument mégalithique aient la même origine géologique (Montguyon, Saint-Palais-de-Négrignac, Trizay, Saujon). D’autres sont des monuments composites constitués de dalles d’origine différente (nécropoles de La Vallée et de La Sauzaie à Soubise pour parler des plus imposants). Enfin un petit dolmen (Berthegille à Sablonceaux) associe une à deux tables de couleur rouge (dalles silico-ferrugineuses) à au moins un pilier de couleur blanche alors qu’il a été prouvé que le lieu d’extraction est le même pour ces deux matériaux. Cette dernière pratique exprime une volonté certaine dans le choix des matériaux de construction.
3.2. Le transport des dalles.
Les plus longs déplacements de dalles et de blocs en Charente-Maritime excèdent rarement 2 kilomètres. Dans certains cas ils ont été effectués sur une pente descendante (Châteauroux à TonnayCharente, La Vallée, Saint-Palais-de-Négrignac), parfois le long du bord d’un plateau (Montguyon) ou sur une plaine sans relief (Soubise, Saint-Rogatien à La Jarne). Plus intéressant a été de prouver l’origine lointaine (Turonien supérieur C3c) des dalles du dolmen allongé de La Graupe. Cette découverte a permis d’aborder d’une autre manière le transport de larges dalles calcaires sur des pirogues ou des radeaux à travers un golfe à l’époque sub-boréale.
4. L’avenir de ce type de recherches.
Les carrières et les affleurements proches des monuments mégalithiques disparaissent à très grande vitesse. Il apparaît donc la nécessité de constituer d’urgence une géothèque d’échantillons de roches pris dans les carrières pour permettre aux chercheurs d’effectuer des recherches de ce type avec les différentes techniques ici exposées.
G.R. Colmont, 2006 Texte bilingue Français-Anglais
In, Colloque de Bougon (Deux-Sèvres), Octobre 2002
Du mélange des genres ou de l’intérêt de "croiser" les disciplines. De l'archéologie chez les géologues : Colmont G.R., 1975 :
Notice archéologique de la carte géologique au 1/50.000e de Jonzac.Colmont G.R., 1976 :
Notice archéologique de la carte géologique au 1/50.000e de Pons.Colmont G.R., 1976 (avec A. Debenath et C. Gabet):
Notice archéologique de la carte géologique au 1/50.000e de Saint-Agnant.
Colmont G.R. , 1979 (avec J. François) :
Notice archéologique de la carte géologique au 1/50.000e de Montguyon. Colmont G.R., 1984 :
Notice archéologique de la carte géologique au 1/50.000e d’Aulnay. Colmont G.R., 1993 :
Notice archéologique de la carte géologique au 1/50.000e de Mauzé-sur-le-Mignon. De la géologie chez les archéologues : Colmont G.R., 1988 :
Origine des matériaux de quelques monuments de la Charente-Maritime. Bulletin de la Société Préhistorique Française. Tome 85, n° 9.
Colmont G.R., 1997 :
Identification des matériaux de construction des mégalithes par la méthode des microfaciès. Colloque de Rennes (16-19 Avril 1997) du GMPCA. Poster.
Colmont G.R., 2006 :
Locating the sources of megalithic blocks. Colloque de Bougon, Deux-Sèvres, (Octobre 2002).
Colmont G.R., 2020 :
Imagerie par microscopie optique et cathodoluminescence pour déterminer l'origine des matériaux de construction des mégalithes. Le monument ruiné dit "La Table du Roy" à Juicq (Charente-Maritime). Société des Sciences Naturelles de la Charente-Maritime. Volume XI, fasc. 2.
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