Jacques Hinout (1918 - 2007)
Nous avons appris avec beaucoup de retard et surtout de tristesse, le décès de notre collègue Jacques Hinout survenu le 12 décembre 2007, à l’hôpital de Clichy-la-Garenne (Hauts-de-Seine), près de ses enfants, où il s’était retiré au moment de l’évolution de sa maladie. Malgré une longue période d’activité en Île-de-France et en Picardie, nous avons le sentiment de mal le connaître sur le plan personnel, mais beaucoup mieux dans le domaine scientifique.
Négociant dans le textile
Né à Tours en 1918, à la fin de la Grande Guerre, et après avoir terminé son cycle d’études primaires, il entre rapidement dans le monde du travail à Paris dans le négoce du textile. Il fait son service militaire pendant deux ans, juste avant la déclaration de la Seconde Guerre mondiale où il est de suite enrôlé pour combattre aux frontières. Il a une conduite courageuse, mais il est fait prisonnier et reste en captivité pendant près de 4 ans en Allemagne. À son retour, après 5 années d’absence, il s’installe à Paris où il rencontre son épouse Odette qui lui donnera deux filles. Ils achètent une mercerie à Asnières. Au bout d’une vingtaine d’années, les affaires sont florissantes et lui permettent de se consacrer de plus en plus, pendant les week-ends, à sa passion, l’archéologie. Il quitte Asnières pour s’installer dans le centre de Château-Thierry (Aisne), où il ouvre une nouvelle mercerie avec son épouse. Plus à l’aise, il peut enfin prospecter tous les grands sites archéologiques du Tardenois, à moins de cinquante kilomètres de chez lui.
A la recherche des sites mésolithiques dans l'Aisne
Il se lance dans l’étude de la période préhistorique et se spécialise peu après sur le Mésolithique avec les sites éponymes voisins autour des massifs sableux de Fère-en-Tardenois qui lui fournissent une large part de la matière pour ses recherches. Jacques Hinout arrive à un moment où les gisements du Tardenois sont exploités souvent d’une façon expéditive, depuis 1885, par des archéologues souvent plus soucieux de collectionner des objets que d’établir les bases d’un travail scientifique. Lorsque Jacques Hinout entre dans ce contexte, il s’aperçoit vite qu’il reste encore beaucoup à faire, mais que les grands gisements classiques sont vidés presque entièrement. Il devient membre de la Société Préhistorique Française (SPF), où il côtoie les grands spécialistes de l’époque puis, plus tard, dans les années 1970, il en prend la présidence pendant deux ans. Lors de ces rencontres régulières avec les préhistoriens français à la SPF, il peut échanger et se tenir au courant des recherches en cours en France et chez nos voisins européens. Il entreprend alors de nouvelles prospections méthodiques en 1959-1960 qui l’amènent à fouiller l’abri orné de “La Chambre des Fées” à Coincy (Aisne). Il applique pour la première fois sur ce type de site, les méthodes de fouilles fines par quadrillage métrique, selon les indications d’André Leroi-Gourhan. Jacques Hinout a trouvé ce qu’il recherche : la vision du véritable gisement éponyme du Tardenoisien moyen, sur les lieux mêmes des premières découvertes d’Emile Taté en 1885. Il montre la composition des assemblages lithiques qui ne se composent pas uniquement d’armatures microlithiques classiques, mais aussi d’une gamme d’outils variés. De plus, sur le plafond de l’abri, il découvre une peinture schématique dessinée à l’ocre-rougeâtre. Suit l’exploration du gisement tardenoisien ancien de “L’Abri de Chinchy” à Villeneuve-sur-Fère (Aisne), en 1961, où il met en évidence des gravures mésolithiques, ainsi que de l’âge du Bronze (barque solaire) et historiques. Il poursuivra dans ce bois en fouillant en 1963 le grand gisement du Tardenoisien final du “Bois de Chinchy” où il découvre un grand foyer à évent, appareillé de pierres meulières, dont les cendres donnent une datation C14 de 6160 +/- 160 ans B.P., Gif 6318. Il peut entreprendre alors des études spatiales sur ces petits campements de chasseurs-cueilleurs. De 1963 à 1964, il enchaîne avec la fouille du site tardenoisien moyen II, et de la nécropole de La Tène initiale de “La Baillette” à Oulchy-la-Ville.
L'art rupestre en forêt de Fontainebleau
Dans un autre département de 1965 à 1968 il reprend un ancien gisement sauveterrien très important, fouillé de façon discontinue de 1935 à 1952, au “Bois de Plaisance”, à Sonchamp (Yvelines). Son objectif est de pouvoir distinguer les industries du Sud de la région parisienne avec son Tardenoisien de l’Est et du Nord de l’Île-de-France qu’il a maintenant bien identifié dans ses composantes. Parallèlement, il conduit des prospections et des fouilles en forêt de Fontainebleau et ses abords, où les massifs gréseux sont plus importants que dans l’Aisne. Il découvre en 1966 un ensemble de roches gravées dans un abri au lieu-dit “Les Canches”, à Buno-Bonneveaux (Essonne). Au pied de ces roches ornées, il peut mettre en relation des outils très lustrés, qu’il appelle des traçoirs, qui servaient pour dessiner sur les parois. Il fait le rapprochement avec les mêmes outils trouvés avant à “La Chambre de Fées” à Coincy (Aisne). C’est alors qu’il s’intéresse davantage à l’art rupestre des Mésolithiques, au moment où d’autres équipes commencent un inventaire systématique en forêt de Fontainebleau.
Il reprend un peu le large en 1968, à la demande de Philippe Taquet qui vient de découvrir un gisement épipaléolithique dans une sablière en cours d’exploitation à Hannapes dans le nord de l’Aisne. En 1969, il veut vérifier les datations obtenues sur des foyers lors de ses premières fouilles de 1961 à “La Chambre des Fées” à Coincy. Il retrouve un nouveau foyer construit avec suffisamment de charbons de bois, donnant la même datation que précédemment, soit 5210 +/- 120 ans B.P. (Gif 1986). Il a la chance de mettre au jour dans les niveaux tardenoisiens un fragment de poterie danubienne (RRBP ou VSG ?), avec un décor linéaire. Cette découverte est malheureusement restée méconnue des Néolithiciens. Il découvre et fouille, en 1973, un petit gisement mésolithique dans la carrière du bois de Saponay (Aisne). Un pic en grès à face plane lui permet de placer cette occupation dans la phase moyenne du Tardenoisien. La même année, il entreprend des fouilles dans la grotte dite de “Châteaubriand“ à Buthiers (Seine-et-Marne), dans un massif gréseux dominant la vallée de l’Essonne.
Des fouilles de sauvetage dans l'Oise et ... en Seine-et-Marne
En 1973 nous lui demandons d’entreprendre une fouille de sauvetage dans une carrière à Villeneuve-sur-Verberie (Oise), au lieu-dit “Le Margamin’’, découvert par un de nos prospecteurs de l’époque, le regretté Robert Mommelé. Ce site implanté dans le sud de la forêt d’Halatte, sur des sables siliceux stampiens, a livré un habitat appartenant au faciès de Maurégny ancien, toujours selon la périodisation de Jacques. L’un des foyers a livré une datation C14 de 7390 +/- 160 B.P., Gif 4084. En 1978, nous lui proposons de fouiller en sauvetage un petit site en forêt de Compiègne (Oise), menacé par des travaux forestiers, au lieu-dit “Le Carrefour de l’étang de Saint-Jean”, près du hameau de La Brévière. Il trouve un matériel lithique du Tardenoisien moyen. Il continue dans le Sud-Est de l’Oise où il est appelé par Jean-Luc François pour dégager un sol mésolithique appartenant au faciès de Maurégny, atteint lors des fouilles de l’ancienne abbaye de Lieu-Restauré, à Bonneuilen-Valois. En 1981, il s’intéresse à la stratigraphie, allant du Mésolithique à l’époque historique, de la grotte « à peinture » à Larchant en Seine-et-Marne. Nous lui signalons en 1985 de nouveaux gisements épipaléolithiques, dans une zone sableuse située en bordure de sources, dans la forêt de Compiègne, près de la maison forestière de “La Muette”, à Vieux-Moulin. Il termine ses recherches par des prospections de terrain et la surveillance des carrières.
Les dernières monographies
Avec l’avancement de l’âge, il sait qu’il doit terminer les publications de toutes ses recherches et en faire surtout la synthèse. Il arrive au terme de son oeuvre en 2003, à près de 85 ans, en publiant des séries de monographies dans les revues archéologiques régionales, dont la RAP, et dans la SPF. Un essai de synthèse sur le Mésolithique dans le Bassin parisien, paraît dans la revue Préhistoire et Protohistoire en Champagne-Ardenne. Comme il nous le disait encore en 2004 : j’estime avoir fait le tour de la question. Il fait don de ses collections au Musée de la Préhistoire en Ile-de-France à Nemours. Devenu veuf en 2004, il continue de vivre quelque temps à Château-Thierry, puis à Asnières, entouré les dernières années de l’affection et des soins de ses filles. Il avait très vite assimilé les techniques de fouilles modernes et ceux qui avaient assisté au Colloque de Compiègne en 1982 se souviennent, au cours d’un échange de vues avec un de ses collègues, de sa petite phrase au sujet des lectures stratigraphiques : On n’empile pas les couches archéologiques comme des assiettes creuses.
C’était un amateur au sens noble du terme, un autodidacte qui a entrepris en une quarantaine d’années un travail considérable. Il menait en réalité deux métiers : celui de mercier pour pouvoir vivre décemment et celui d’archéologue pour satisfaire sa curiosité. Il nous recevait toujours avec beaucoup de plaisir et d’élégance sur ses chantiers de fouilles qu’il menait conjointement avec son épouse, Odette, laquelle assurait l’intendance et la tache ingrate du tamisage.
C’est grâce à des pionniers de son genre, auxquels nous associons les Bernard Ancien, Émile Chami, René Courtois, Gilbert Lobjois, Georges Matherat, René Parent et quelques autres, que la recherche archéologique en Picardie a pu se relancer après une période de stagnation entre les deux guerres mondiales. À ce titre, nous lui rendons hommage, ainsi qu'à son épouse Odette.
Jean-Claude Blanchet & Marc Durand
Publications : HINOUT Jacques (1962) - « Un gisement tardenoisien de Fère-en-Tardenois ». Bulletin de la Société préhistorique française, t. 59, n° 7-8, p. 478-489.
HINOUT Jacques (1964) - « Gisements tardenoisiens de l’Aisne ». Gallia Préhistoire, t. 7, p. 65-106.
HINOUT Jacques (1966) - « Pièces émoussées et grès façonnés ou gravés tardenoisiens ». Bulletin de la Société
préhistorique française, Matériaux, p. CCX-CCXII.
HINOUT Jacques (1968) - « L’Auvent gravé du Géant, Coincy (Aisne) ». Bulletin de la Société préhistorique
française, Matériaux, p. CCIII-CCVIII.
HINOUT Jacques (1973) - « Classification des microlithes tardenoisien du Bassin Parisien ». Bulletin de la Société préhistorique française, C.R.S.M., n° 8, p. 230-236.
HINOUT Jacques (1974) - « Abris ornés des massifs gréseux du Tardenois (Aisne) ». Cahiers archéologiques de
Picardie, Amiens, p. 33-49.
HINOUT Jacques & DUVAL Alain (1984) - « Un cimetière à incinération de La Tène initiale à Oulchy-la-Ville (Aisne). Bulletin de la Société préhistorique française, t. 81, n° 10-12, p. 382-409.
HINOUT Jacques (1985) - « Le gisement épipaléolithique de la Muette I, commune de Vieux-Moulin (Oise) ». Bulletin de la Société préhistorique française, t. 82, n° 10-12, p. 377-388.
HINOUT Jacques (1984) - « Les outils et armatures-standards mésolithiques dans le Bassin parisien par l’analyse des données », Revue archéologique de Picardie, 1/2, Amiens, p. 9-30.
HINOUT Jacques (1989a) - « Les gisements mésolithiques du “Bois de Saponais” (Aisne) », Revue archéologique de Picardie, 1/2, Amiens, p. 3-12.
HINOUT Jacques (1989b) - « Le gisement tardenoisien final de “Bois de Chinchy”, commune de Villeneuve-sur-Fère (Aisne) », Revue archéologique de Picardie, 3/4, Amiens, p. 15-26.
HINOUT Jacques (1990a) - « Le Tardenoisien final III, le gisement de la Baillette à Oulchy-la-Ville (Aisne)». Bulletin de la Société préhistorique française, t. 87, n° 8, p. 241-249.
HINOUT Jacques (1990b) - « Évolution des cultures épipaléolithiques et mésolithiques dans le Bassin parisien », Revue archéologique de Picardie, 3/4, Amiens, p. 5-14.
HINOUT Jacques (1991) - « Quelques aspects du Tardenois ». Préhistoire et Protohistoire en Champagne-Ardenne,
15, p. 25-44.
HINOUT Jacques (1992a) - « Le gisement épipaléolithique de Hannapes (Aisne) lieu-dit “le Bois de Hannape” »,
Revue archéologique de Picardie, 1/2, Amiens, p. 3-9.
HINOUT Jacques (1992b) - « Le gisement sauveterrien ancien à denticulés de la grotte de Chateaubriand à Buthiers (Seine-et-Marne) », Revue archéologique de Picardie, 3/4, Amiens, p. 5-24.
HINOUT Jacques (1992c) - « Le gisement épipaléolithique de La Sablière de Vénérolles (Aisne) », Préhistoire et
Protohistoire en Champagne-Ardenne, 16, p. 7-18.
HINOUT Jacques (1993a) - « Le gisement mésolithique de Villeneuve-sur-Verberie, lieu-dit “Le Margamin” (Oise) », Revue archéologique de Picardie, 3/4, Amiens, p. 3-18.
HINOUT Jacques (1993b) - « Le Sauveterrien moyen et final de l’abri de Bel-Air I, Buthiers (Seine-et-Marne) ».
Bulletin de la Société préhistorique française, t. 90, p. 229-237.
HINOUT Jacques (1993c) - « La grotte à peinture à Larchant (Seine-et-Marne), lieu-dit ‘’Les Dégoûtants à Ratard’’». Préhistoire et Protohistoire en Champagne-Ardenne, 17, p. 25-91.
HINOUT Jacques (1994) - « Le gisement tardenoisien moyen de Saint-Jean-aux-Bois (Oise), lieu-dit “Le Carrefour de l’Étang de Saint-Jean” », Revue archéologique de Picardie, 3/4,Amiens, p. 3-18.
HINOUT Jacques (1997) - « L’abri du guerrier franc à Brécy dans l’Aisne », Revue archéologique de Picardie, 3/4,
Amiens, p. 85-100.
HINOUT Jacques (1998a) - « Les pétroglyphes mésolithiques des massifs gréseux du bassin parisien », Revue
archéologique de Picardie, 1998, 3/4, Amiens, p. 31-52.
HINOUT Jacques (1998c) - « Divers aspects de l’art rupestre dans les massifs gréseux du Bassin parisien ». Préhistoire et Protohistoire en Champagne-Ardenne, 22, p. 3-42.
HINOUT Jacques (1999) - « Évolution du Mésolithique dans le Bassin parisien par l’analyse des données », Revue archéologique de Picardie, 3/4, Amiens, p. 23-52.
HINOUT Jacques (2000) - « L’art rupestre des grottes et abris des massifs gréseux du Bassin parisien », Préhistoire
et Protohistoire en Champagne-Ardenne, 24, p. 45-92.
HINOUT Jacques (2002) - « Le Mésolithique dans le Bassin parisien. Essai de synthèse », Préhistoire et Protohistoire
en Champagne-Ardenne, 26, p. 15-90.